Intervention de Dominique Potier

Séance en hémicycle du 5 juin 2013 à 21h30
Séparation et régulation des activités bancaires — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDominique Potier :

Madame la présidente, madame la rapporteure, monsieur le ministre, mes chers collègues, qu'il est long le chemin, qu'il est long ! Combien de temps, entre l'indignation et la transparence acquise cette nuit sur les grands paradis fiscaux ? Et combien de temps nous faudra-t-il encore pour passer de la transparence à l'interdit ?

Aujourd'hui, sur ce long chemin, nous avons posé deux bornes. La première consiste à trier le bon grain de l'ivraie en identifiant les fonds spéculatifs en matière agricole et alimentaire. À cet égard, je me réjouis, chers collègues de l'opposition, que vous ayez soutenu l'amendement relatif à ce sujet à l'unanimité en commission des finances. La deuxième borne concerne la transparence sur les activités des banques dans les paradis fiscaux.

Ce soir, nous allons poser un jalon. Je porterai au nom du groupe SRC et, plus largement, je pense, de toute la majorité, la proposition d'étendre cette transparence aux activités financières des multinationales.

Ce projet de loi, après une première lecture, arrive en deuxième lecture devant notre assemblée. Trois leçons peuvent être tirées pour cette cause qui s'est invitée comme un vent favorable dans ce texte en le faisant virer à bâbord.

Premièrement, l'opposition du réalisme et de l'angélisme, auquel certains ont feint d'accorder du crédit, était un faux débat. Le vrai débat consiste à opposer l'économie réelle – celle du travail, de la créativité, de la valeur ajoutée – à toutes les spéculations inutiles, dangereuses et parfois mafieuses.

Il n'y a donc pas de vain combat contre la mondialisation, mais une urgence s'impose : celle d'interroger ses finalités et de dévoiler l'iniquité de ses chaînes de valeur. L'enjeu ici est de tracer la ligne ténue entre l'optimisation et la fraude fiscale ; il est de rappeler que, comme le disait François Perroux, en économie, il y a des choses qui ont un prix, et d'autres qui n'en ont pas.

La deuxième leçon est que seules les alliances font bouger les lignes. Je tiens tout d'abord à saluer les ONG organisées en plate-forme, qui ont su, grâce à leurs militants, ceux qui partagent leur temps et leur argent, nous convaincre petit à petit, pas à pas : ils sont des sentinelles et des passeurs. Je salue également le Parlement et ses pionniers qui siégeaient parmi nous il y a dix ans – Vincent Peillon, Gilbert Le Bris et Arnaud Montebourg – et qui ont ouvert la voie. Enfin, je remercie le Gouvernement, en particulier M. le ministre, qui a su bouger et faire bouger les conservatismes.

Cette avancée n'est pas le fruit de l'action de la France ou de l'Europe, encore moins de la France contre l'Europe ; elle est le fruit de l'action de la France en Europe et avec l'Europe.

Il nous faut cultiver, en ces temps moroses, ces cercles vertueux que sont le triptyque « citoyens, État, entreprises », mais aussi le lien entre l'innovation nationale et la coopération européenne.

Dernière leçon : nous ne sommes qu'à l'aube du combat pour une justice à l'échelle du monde, notre monde. Nous examinerons bientôt le projet de loi contre la fraude et l'évasion fiscale, mais Dacca et ses 1 117 morts fixent une nouvelle frontière : la responsabilité juridique des multinationales vis-à-vis de leurs filiales et de leurs sous-traitants.

Oui, qu'il est long, le chemin ! Nous pouvons dédier cette étape législative aux héros anonymes qui luttent contre les esclavages modernes dans tous les Rana plaza de la planète. Ils sont les héritiers de Georges Guérin, le fondateur de la JOC, né à quelques kilomètres de chez moi, qui disait que « la vie d'un jeune travailleur vaut plus que tout l'or du monde ».

L'esprit de résistance de ces syndicalistes, de ces militants des droits de l'homme qui, sous d'autres contrées, luttent pour la dignité humaine, nous rappelle qu'un autre monde est possible.

Je pense aussi aux gens de mon village, tout simplement, à ceux qui n'ont d'autre choix que de payer leur part d'impôt, pour l'école, les gamins, l'hôpital, la sécurité. Je forme le voeu que jamais plus une aristocratie publique ou privée – parfois les deux à la fois – n'use de ses privilèges au prix de la souffrance et de l'humiliation du peuple. Car cette suffisance dans l'appât du gain nourrit ici le populisme et ailleurs le fanatisme.

La force des mots de Pierre Mendès France est intacte : « À la fin des fins, si l'on veut faire le gouvernement du possible, pour lequel il faut s'adresser à la Nation en lui disant toute la vérité et toutes les obligations qui en découlent pour chacun, le principe doit être l'égalité absolue dans le partage des sacrifices ».

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