Intervention de Paul Charon

Réunion du mercredi 20 décembre 2023 à 9h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Paul Charon, directeur du domaine « Renseignement, anticipation et stratégie d'influence » de l'IRSEM :

Je partage ces derniers propos concernant la hiérarchie : la Chine domine très largement sur le plan économique les acteurs russes et turcs, en raison de sa très forte présence économique sur le continent africain, mais aussi l'étendue de ses moyens. Cela pourrait changer lors des années à venir, compte tenu de l'inflexion de la politique des Nouvelles routes de la soie (BRI), de la diminution des investissements chinois et du retrait sur un certain nombre de projets. Cependant, en matière économique, la Chine est bien au-dessus des compétiteurs russes ou turcs.

À l'exception de la base à Djibouti, sur le plan sécuritaire, la présence chinoise est somme toute modérée. Plusieurs projets d'implantation d'une base à l'ouest de l'Afrique sont prêtés à la Chine, mais il n'y a pas eu pour le moment d'éléments de preuve suffisamment forts pour confirmer cette hypothèse, qui est également évoquée dans l'océan Indien ou dans l'océan Pacifique, à moyen terme.

Sur le plan informationnel, des efforts importants sont entrepris, mais les Chinois ne sont pas à la hauteur des capacités russes, sans doute parce qu'ils comprennent moins bien les écosystèmes locaux, sont moins capables d'instrumentaliser les problématiques locales, et se concentrent surtout sur la promotion de leur propre image.

Par ailleurs, on se représente très souvent les régimes autoritaires comme des systèmes extrêmement centralisés où des acteurs très disciplinés obéissent aux ordres qui émanent du pouvoir central. Mais la Chine ne fonctionne absolument pas de cette manière. Il existe ainsi une multitude d'acteurs, avec des redondances multiples. Par exemple, parfois jusqu'à trente agences différentes sont susceptibles d'intervenir de manière concurrente dans le champ d'une même politique publique. Il n'y a pas de coordination sur le terrain, ce qui peut susciter parfois le chaos. Dans le cas chinois, cela se matérialise notamment sur le plan informationnel.

De même, dans le champ économique, la domination économique actuelle de la Chine en Afrique n'est pas liée à un vaste plan préparé à Pékin et mis en œuvre sur le terrain par des acteurs disciplinés. Elle provient essentiellement d'entrepreneurs d'abord privés qui ont conquis le terrain. Ce n'est qu'ensuite que cette présence est instrumentalisée par le Parti et les agences gouvernementales.

Ensuite, nous manquons d'études sérieuses sur les réceptions des opérations d'influence. Quelques études soulignent que les médias officiels chinois en Afrique sont peu regardés, peu écoutés et peu lus ; mais quand ils le sont, l'effet est positif sur l'image perçue de la Chine. En outre, il faut distinguer les médias officiels des opérations clandestines beaucoup plus sophistiquées, dont il est par définition plus difficile de mesurer l'influence, qui est cependant parfois loin d'être négligeable.

Par ailleurs, si l'on se représente les intérêts chinois comme une succession de cercles concentriques à partir de la Chine, l'Afrique semble forcément plus lointaine et compte moins que l'environnement direct. L'Afrique est moins importante que Taïwan, que la péninsule coréenne, que le Japon, que la mer de Chine méridionale, que la présence américaine dans le Pacifique à proximité de la Chine, que l'océan Indien ou l'Asie centrale. Simultanément, il y a de plus en plus de citoyens chinois en Afrique, que le pays doit être capable de protéger. Les Chinois ont été traumatisés par les Printemps arabes et leur incapacité à évacuer correctement leurs ressortissants de Libye. Dans ce cadre, Djibouti présente un intérêt logistique pratique, à la fois de soutien aux opérations de lutte contre la piraterie, pour intervenir en cas de crise humanitaire, mais cette base vise aussi à jouer dans la « cour des grands », dans un pays où sont également implantés les Américains, les Français, les Italiens et les Japonais.

Il convient également d'évoquer l'instrumentalisation des États africains à l'ONU quand il s'agit de voter en soutien de la Chine. Dans le cas de l'Ukraine, la Russie et la Chine ont œuvré pour que les États africains au minimum s'abstiennent ou refusent de voter des sanctions contre la Russie.

Peut-on parler de prédation ? La Chine n'arrive pas en Afrique en se disant qu'elle adoptera une attitude de prédateur, mais elle fait des affaires, ce qui peut impliquer des conséquences négatives sur les acteurs locaux, d'autant plus que les Chinois ont tendance à proposer des « packs complets » aux acteurs locaux. Ainsi, quand un projet d'infrastructure est signé avec un État africain, des entreprises chinoises en assurent la construction, avec des ouvriers chinois.

Enfin, les entreprises chinoises inondent les marchés africains de produits peu chers et les producteurs locaux sont incapables de rivaliser. Ici aussi, il ne s'agit pas de laminer les sociétés ou prendre le contrôle des pouvoirs politiques. Cela relève simplement d'une stratégie commerciale qui fonctionne, comme elle a fonctionné ailleurs.

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