Intervention de Christophe Girardier

Réunion du jeudi 6 juillet 2023 à 15h05
Commission d'enquête sur le coût de la vie dans les collectivités territoriales régies par les articles 73 et 74 de la constitution

Christophe Girardier, président de Bolonyocte Consulting :

Sur les grossistes importateurs, il faut savoir de quoi on parle. Le grossiste dont je viens de vous parler, Super Cash, qui est donc dans la galaxie GBH désormais, revend les produits que vous trouvez dans un magasin Carrefour à La Réunion. M. le rapporteur, je pense que vous faites référence aux importateurs de marques, qui sont aussi des grossistes. C'est encore une erreur de l'Autorité de la concurrence : dans son rapport de 2019, l'Autorité de la concurrence s'intéresse aux marges soi-disant abusives de ces grossistes. En fait, là encore, on est dans « l'écume des vagues ». Il y a des importateurs qui ne présentent aucune valeur ajoutée. Un grossiste local qui représente une marque qui ne fait que de la marge n'a aucun intérêt, il est vrai. Mais il y a des acteurs à La Réunion, qui eux jouent un rôle. Certaines grandes marques comme Nivea, Procter & Gamble et Nestlé ont signé des accords de partenariats non exclusifs – même si en réalité c'est quasi de l'exclusivité car ils créent des conditions qui font qu'un autre acteur ne pourrait pas le faire. À La Réunion, au moins deux acteurs jouent un rôle particulier, car ils utilisent de infrastructures de logistique pour permettre un assortiment plus large et plus de choix pour les Réunionnais. C'est la raison pour laquelle certains distributeurs les utilisent. En effet, pour élargir l'assortiment, il faut beaucoup de stocks. Or, en général, les grands distributeurs n'aiment pas ça : ils veulent vendre des grosses masses. Donc moins il y a de référence – on appelle cela la profondeur de l'offre –, plus il y a de volume, plus ils sont ravis. Donc les importateurs sérieux, qui ne le sont pas tous, peuvent apporter cette valeur ajoutée pour donner aux réunionnais un choix plus vaste.

Contrairement à ce que dit l'Autorité de la concurrence, ils ne cumulent pas les marges. L'industriel leur transfère le droit de représenter leurs marques, en donnant des gros budgets de promotion, qu'ils vont utiliser. Ils doivent eux pouvoir les rétrocéder aux distributeurs. C'est certainement ce qu'a dû vous expliquer M. Pascal Thiaw-Kine, président du groupe Excellence et franchisé E. Leclerc à La Réunion, en disant qu'il passe pour 30 % de son assortiment pour pouvoir bénéficier de la capacité de stockage qu'il n'a pas. Mais il se demande s'il va continuer, parce que le différentiel devient moins intéressant. En effet, à La Réunion, aux Antilles, comme à Mayotte, le système des marges arrières est encore plus pervers que dans l'Hexagone. À La Réunion, le distributeur exige du producteur local qu'il effectue lui-même le rempotage, c'est-à-dire qu'il remplisse les rayons gratuitement. Pour moi, il s'agit d'une violation des règles.

Puisqu'on exige de lui des services gratuits, le producteur local augmente ses prix pour rééquilibrer. Ce jeu des marges arrière conduit donc à un renchérissement de la vie en Outre-mer, ce qui pèse sur l'importateur, qui est lui aussi soumis, quand il représente une marque, aux mêmes obligations de la part du distributeur. Il est à noter que le groupe Leclerc demande la suppression des marges arrières, à juste titre. En résumé, ce n'est pas la faute de l'importateur, mais du modèle économique des marges arrières, qui impose à l'importateur de céder beaucoup de marges arrières au distributeur.

À l'heure actuelle, le responsable du franchisé E. Leclerc à La Réunion est mécontent de ses relations avec les grossistes, donc il est en train d'élargir ses capacités de stockage, pour pouvoir importer directement depuis la centrale de l'enseigne Leclerc. À terme, les acteurs des grossistes vont disparaître, alors même qu'ils jouent un rôle. Ne laissez pas faire cela : vous risquez de renforcer l'hégémonie de la distribution. En revanche, vous devez rappeler à l'ordre les services de la Dgccrf, en réaffirmant qu'il n'est pas tolérable de demander aux producteurs locaux de réaliser gratuitement de telles prestations de service.

J'ai rencontré les représentants des producteurs, et le paradoxe est qu'ils veulent continuer à délivrer des prestations gratuites. En effet, ils savent que s'ils ne le font pas, leurs produits ne seront pas dans les assortiments, ce qui signifie qu'il n'y aura pas de vente. Il s'agit là, en quelque sorte, d'une forme de « syndrome de Stockholm » : je suis sympathique avec mon agresseur. Il faut donc dire aux producteurs locaux que la loi doit s'appliquer, mais aussi les protéger, afin que les distributeurs ne les punissent pas s'ils décident de ne pas faire ces prestations gratuitement. Mesdames et Messieurs les députés, votre rôle est terriblement important. Voilà pourquoi les grossistes qui apportent de la valeur ajoutée sont importants.

J'ai essayé de créer une relation de confiance avec les personnes que j'ai interrogé lors de mes études. À M. Pascal Thiaw-Kine, j'ai demandé s'il maintiendrait ses commandes à l'importateur local au cas où celui-ci n'effectuait plus le rempotage, ou s'il prévoyait de faire son travail pour qu'il disparaisse. Il m'a répondu que si le différentiel de marge est acceptable, il le fera. Le groupe E. Leclerc étant un groupe coopératif, M. Thiaw-Kine dépend de la centrale d'achat du Havre et ses négociateurs négocient les prix en France avec les grandes marques. Donc il y a des marges arrières dans tous les sens. Mais le groupement E. Leclerc lui reverse toutes les marges arrières métropolitaines et il prétend – je n'ai pas de raisons de penser qu'il ment – reverser au moins 5 % au consommateur. Je crois que c'est exact, mais tout le monde ne le fait pas. Il me disait que si les importateurs locaux arrivaient à donner entre 2 et 4 %, alors il continuerait de travailler avec eux. Sachez qu'aujourd'hui il prépare l'alternative.

Si les distributeurs en position dominante sont mis en situation de pouvoir concurrencer les importateurs locaux, il n'y aura plus de diversité, plus de pluralisme concurrentiel et vous livrerez ces territoires aux effets terribles de l'économie de comptoir.

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