Intervention de Christophe Girardier

Réunion du jeudi 6 juillet 2023 à 15h05
Commission d'enquête sur le coût de la vie dans les collectivités territoriales régies par les articles 73 et 74 de la constitution

Christophe Girardier, président de Bolonyocte Consulting :

Je respecte naturellement le Conseil d'État. Cependant, cette décision est consternante.

S'agissant de « l'écume des vagues », selon moi, sur une échelle de 100, les causes de la vie chère liée à l'éloignement sont inférieures à 10 %, octroi de mer compris. Un exemple est très symptomatique de la légèreté de certains acteurs. On vous a parlé du conteneur de pâtes, mais il y en a très peu. Comme vous l'a dit le président de la CMA CGM, le prix d'un conteneur est le même quel que soit son contenu. Je ne peux donc pas imaginer que les acteurs vont commettre l'erreur de placer des produits à très faible valeur ajoutée dans un containeur dont le prix est bien connu. On va y mettre une pluralité de marchandises. Ainsi, ces conteneurs ne sont pas remplis que de pâtes, ils transportent également des produits à très forte valeur ajoutée. Un conteneur de 40 pieds coûte ainsi 3 500 à 4 000 euros pour 20 000 kilomètres. De même, le président de CMA CGM a raison lorsqu'il vous indique qu'il applique des tarifs très inférieurs à ceux qu'il pourrait pratiquer. J'ai pu le vérifier. En résumé, ce ne sont pas les compagnies maritimes qui sont responsables, en tout cas pas celle-ci.

La part que l'on peut attribuer au manque de pluralisme concurrentiel, à la concentration et au modèle économique peut être donc évaluée à 80 %. À titre d'exemple, il suffit d'aller voir une promotion dans un supermarché, quel qu'il soit, à La Réunion. Je me mets à la place de nos compatriotes réunionnais qui voient qu'une célèbre marque de bière réunionnaise peut voir son prix baisser de 20 à 30 % et un pot de pâte à tartiner baisser de 45 % lors d'une opération promotionnelle. Cela témoigne en creux des excès : si l'on est capable de diviser par deux le prix d'un produit lors d'une promotion, c'est bien qu'il existe un problème. Les consommateurs des Outre-mer le savent bien : bien souvent, ils n'achètent qu'en promotion. Malheureusement, ce sont des promotions en trompe l'œil : seulement 20 % des produits d'un supermarché sont en promotion et les autres 80 % n'en font jamais l'objet. Pire encore, j'ai vu des produits de marque dont le prix était moins cher que des produits de marque de distributeur (MDD).

Ensuite, selon moi, la décision de l'Autorité de la concurrence intervenue en 2022 est privée de base légale. Je suis consterné de constater que le Conseil d'État n'ait pas censuré cette disposition, alors qu'il aurait dû le faire. J'en suis d'autant plus gêné que le Conseil d'État a un vice-président tout à fait remarquable. Il a préalablement été à la tête de l'Autorité de la concurrence et sous sa présidence, celle-ci avait rendu d'excellentes décisions. Une fois qu'il a quitté son poste, j'ai senti que l'Autorité était un peu moins indépendante de l'État que lorsqu'il la présidait.

En tout état de cause, la décision de l'Autorité de la concurrence était privée de base légale. Lorsque l'on regarde les motifs de cette décision de l'Autorité de la concurrence, on remarque que la loi indique que pour qu'une opération de concentration qui relève du contrôle de l'Autorité de la concurrence soit validée, il ne faut pas qu'il y ait atteinte à la concurrence. Or dans sa décision, l'Autorité admet l'atteinte à la concurrence et se focalise notamment sur la situation de dépendance économique des acteurs de la production locale. Sur ce fondement, elle demande d'ailleurs des engagements structuraux et comportementaux au groupe Hayot. Le groupe Hayot le propose de lui-même, car il reconnaît qu'il existe un problème. Il s'engage donc à céder des points de vente. Mais les quatre hypermarchés que le groupe GBH cède sont précisément ceux dont il n'a pas besoin, car ce sont ceux les plus exposés à la concurrence directe des concurrents et de lui-même en particulier.

Les autres engagements sont d'ordre comportemental. Le groupe Hayot a ainsi pris l'engagement de protéger la production locale et de faire en sorte que les acteurs de la production locale puissent être libérés de leur dépendance au groupe. Qu'est-ce qu'ils proposent ? Rien, d'arrêter de leur acheter. Mais vous imaginez bien qu'un acteur de la production locale qui dépend à 80 % des distributeurs ne peut pas demander au groupe Hayot de le libérer de la dépendance, alors même qu'il n'a pas d'autre marché que celui-ci de La Réunion, car il a des difficultés à exporter. J'ai expliqué ce problème à l'Autorité de la concurrence. Là où il y a un vice dans la décision, c'est que la loi, que vous avez voté, messieurs les députés, dit que l'Autorité de la concurrence ne peut autoriser un rachat que si elle s'assure que les engagements pris par un acteur sont de nature à neutraliser les risques d'atteinte à la concurrence.

Deux ans avant la décision, j'avais prévu que le nouvel acteur Run Market, créé de toutes pièces et qui selon le groupe Hayot devait animer la concurrence puisqu'il lui cédait quatre hypermarchés, n'était pas viable et qu'il se casserait la figure. C'est malheureusement ce qui s'est passé. Ce rapport date de 2020. Deux ans plus tard, l'entreprise Run Market, créée de toute pièce, va demander à l'État français 60 millions d'euros d'abandon de créances. Il est quand même invraisemblable que dans cette vieille démocratie qu'est la France, 60 millions d'euros d'argent public aient été injectés pour aider le groupe mauricien Ireland Blyth Limited (IBL) à prendre le contrôle de quatre hypermarchés. En outre, je prédis que cette affaire ne fonctionnera pas. IBL n'aura donc que deux solutions : perdre de l'argent pour rester sur le marché ou cesser son activité dans un ou deux ans.

Vous connaissez la célèbre phrase que Winston Churchill aurait dit au Premier ministre Neville Chamberlain, après la conférence de Munich, en 1938 : « Le gouvernement avait le choix entre la guerre et le déshonneur ; il a choisi le déshonneur et il aura la guerre. » Je suis consterné, et si je peux me permettre un conseil, il aurait été utile de poser la question au ministre de l'économie : pourquoi, alors même qu'il existait des candidats locaux pour reprendre ces hypermarchés, a-t-on accordé 60 millions d'euros d'abandons de créances ? Je trouve cela préoccupant.

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