Intervention de Robert Parfait

Réunion du jeudi 1er juin 2023 à 14h05
Commission d'enquête sur le coût de la vie dans les collectivités territoriales régies par les articles 73 et 74 de la constitution

Robert Parfait, président du groupe Parfait :

Nous vous remercions de nous avoir invités à cet entretien et nous espérons vous apporter certaines lumières dans les causes et les raisons de la vie chère pour vous permettre de prendre les bonnes décisions.

Je vais vous faire un petit historique de notre groupe. Tout d'abord, c'est en 1967 que mon père, Monsieur Yves Parfait, s'est lancé dans la vie entrepreneuriale et a créé, avec des amis de longue date, une première société spécialisée dans la production de menuiserie en aluminium. Cette entreprise s'appelait Socomi. Elle avait quatre salariés en 1967. Aujourd'hui, elle en a plus d'une centaine. En 1972, il étoffe ses activités avec d'autres amis en créant une marque de distribution automobile, dans un premier temps avec la marque Opel, puis Volkswagen et au fil des années, nous avons accumulé d'autres marques automobiles telles que Mitsubishi, Audi, Kia, Honda, Seat, Mercedes, Land Rover et Jaguar. En 1989, le Groupe se lance dans le secteur de la grande distribution alimentaire, avec la création du centre commercial la Galleria, c'était le premier aux Antilles.

Quelle est la structure des activités de notre groupe ? Nos activités sont organisées en quatre pôles, avec des actionnariats différents, et qui fonctionnent de manière autonome. Les quatre pôles sont les suivants. D'abord, le pôle automobile avec des concessions automobiles en Martinique, commune du Lamentin, et une concession en Guadeloupe. Nous aussi parallèlement des activités de location de voitures sous enseigne Avis et Budget en Martinique et Guadeloupe, ainsi qu'une marque propre à bas coût ou low cost de location de voitures.

Nous avons aussi une petite activité de vente de pièces détachées discount automobiles en Martinique sous une enseigne propre qui s'appelle Auto Quick. Cette filiale a été créée là aussi dans le but de baisser les coûts de pièces détachées pour les consommateurs, car nous avions constaté que les pièces d'origine des constructeurs coûtaient trop cher pour le pouvoir d'achat de la Martinique.

Le troisième pôle est celui de la menuiserie, avec une unité de production et de vente de menuiserie aluminium, bois et polychlorure de vinyle (PVC) et aménagement de cuisine. Nous commercialisons ces produits directement du producteur au consommateur et aussi à travers une autre enseigne, Lapeyre.

Le pôle immobilier est constitué de deux centres commerciaux. En Martinique, C'est la Galleria, un centre commercial comprenant cent vingt boutiques et services, exploités par des commerçants indépendants, et un petit hôtel dans le même complexe immobilier. En Guadeloupe, nous avons, en 2019, lors du rachat de l'hypermarché de Bas-du-Fort, fait l'acquisition simultanée du petit centre commercial qui a une trentaine de boutiques, situé à Gosier.

Le pôle alimentaire est devenu notre activité principale. Nous avons trois hypermarchés en Martinique, la Galleria, le Rond-Point et Place d'Armes. En Guadeloupe, nous avons un hypermarché et deux petits supermarchés, un à Gosier et un à Sainte-Rose. Nous exploitons notre activité sous enseigne Leclerc depuis 2020. Avant, depuis 1992, nous étions l'enseigne U. Nous avons commencé notre activité alimentaire en 1989, date à laquelle notre enseigne était Escale Prisunic. Nous étions alors un magasin franchisé. Par contre, constatant notre manque de compétitivité et déjà dans l'idée de pouvoir baisser les prix, nous avons décidé de devenir membres de la coopérative Système U. Cette coopérative n'avait jamais fait d'export et nous avons dû construire ensemble toute cette logistique, ce qui a été long, compliqué, coûteux, mais ça nous a permis d'arriver à nous développer, d'occuper une place sur le marché et surtout de survivre. En effet, à cette époque, le groupe dominant était le groupe Reynoird, qui avait plus de 60 % de parts de marché avec notamment l'enseigne Mammouth, puis Cora et Match.

Cette période a été celle des nouvelles arrivées. À la fin de l'année 1989 et au début de 1990, nous avons vu l'arrivée de Continent, puis Carrefour, Leader Price et nous-mêmes avec U, ce qui a entraîné des perturbations sur le marché et vraiment relancé la concurrence. Cette âpre bataille a d'ailleurs entraîné la disparition du groupe Reynoird qui, malgré sa taille, n'a pas pu résister à la concurrence et a cédé l'ensemble de ses activités à Cora France. Malgré sa puissance, son professionnalisme, son développement de l'enseigne Ecomax, le groupe Cora France n'a pas pu résister lui non plus. Il a été obligé de se retirer des départements des outre-mer (DOM) des Antilles en vendant en 2010 ses activités au groupe Ho Hio Hen, qui travaillait, lui, sous enseigne Casino.

Il est à noter que déjà, à l'époque, Cora France n'avait trouvé aucun entrepreneur de la métropole pour assurer la suite de ses activités. Nous pensons que les opérateurs métropolitains, au vu de la haute concurrence et de la complexité du métier dans les DOM, avec les contraintes de logistique, les dates limites de consommation (DLC), la casse importante à rajouter aux contraintes sociales, n'ont pas été intéressés. Le groupe Cora a été vendu en départements, la plus grosse part ayant été rachetée par le groupe Ho Hio Hen, qui lui aussi a connu des difficultés. En 2018 ou 2019, soit huit ou dix ans après avoir pris le contrôle, le groupe Ho Hio Hen s'est retrouvé en difficulté. Malgré l'aide du Comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI) en France, il n'a pas pu trouver d'autres repreneurs à l'extérieur et, une fois de plus, les activités ont été reprises par les opérateurs sur les différents marchés.

Notre groupe a un effectif de l'ordre de 1 500 salariés, tous collaborateurs confondus. Cela représente 1 300 salariés en Martinique et 200 en Guadeloupe. Le secteur alimentaire représente environ 60 % de notre activité et le secteur automobile 28 %, les 12 % restants étant l'industrie, les menuiseries et l'hôtellerie avec notre petit hôtel de trente chambres.

Notre développement, dans l'alimentaire notamment, s'est fait en partie par le rachat des actifs de certains des opérateurs des DOM qui se retrouvaient en difficulté. C'est ainsi que nous avons racheté le magasin hypermarché du Rond-Point en 2003, à la suite des difficultés du groupe Roseau, puis du groupe Despointes. C'était un hypermarché de 3 500 mètres carrés. Nous avons racheté en 2011 un supermarché à Gosier, de 850 mètres carrés. C'était une enseigne Match, à la suite de la disparition du groupe Cora. Nous avons racheté en 2012 l'hypermarché Places d'Armes, qui est passé sous différentes enseignes. Il appartenait au groupe Lancry, qui a eu une enseigne Carrefour puis une enseigne Leclerc, mais qui, en 2012, s'est retrouvé en difficulté et a été vendu à la barre du tribunal. Nous avons aussi racheté, des mains du groupe Lancry, un supermarché à Long Pré, qui malheureusement a subi un incendie trois mois après notre achat. Il est resté fermé pendant deux ans et nous avons été obligés de le refermer et le revendre.

Notre expansion a continué en 2014, quand nous avons racheté le supermarché de Sainte-Rose, d'une surface de 850 mètres carrés, suite à l'abandon de la franchise Dia.

Parmi nos récentes acquisitions, nous avons acquis en 2019, des mains du groupe Ho Hio Hen, l'ex-Casino de Bas-du-Fort et que nous exploitons depuis février 2020 sous l'enseigne Leclerc. En 2020, le magasin de la Batelière a connu des déboires lui aussi, faisant partie du groupe Ho Hio Hen Casino. Nous avons donc, à la barre du tribunal, posé notre candidature et avons été adjudicateurs pour l'exploitation d'un petit hypermarché de 2 680 mètres carrés. Malheureusement, l'Autorité de la concurrence a jugé que cela nous donnait une position de duopole et a refusé l'exploitation. Cette décision a nous a coûté très cher, d'autant que, pour des raisons sociales, nous avions décidé de payer les salariés depuis le mois de mai 2020 jusqu'à la date d'aujourd'hui, sans exploitation en face. Nous pensons que cela fait partie de notre rôle aux Antilles.

Vous nous avez posé la question sur nos parts de marché. S'agissant du pôle automobile, nous détenons en Martinique une part de marché de l'ordre de 20 %, qui représente environ 3 000 véhicules vendus par an sur un marché global de 16 000 véhicules. En Guadeloupe, où nous ne proposons que la marque Jaguar Land Rover, notre part de marché est inférieure à 1 %.

Pour le deuxième pôle, celui de la menuiserie, nous n'avons malheureusement pas de données statistiques de ce secteur. Il existe beaucoup de petits opérateurs et importateurs sur le marché.

Nous arrivons donc au pôle qui nous intéresse le plus, à savoir le pôle alimentaire. À cette date, nous ne pouvons estimer nos parts de marché qu'en termes de surfaces en mètres carrés exploités, sachant qu'il n'y a plus de statistiques sur ces données et que nous ne connaissons pas les chiffres de nos concurrents. Ces statistiques étaient maintenues par la direction de la concurrence et des prix. Nous évaluons notre part de marché en Martinique en mètres carrés entre 16 et 20 %. Nous pensons être en quatrième position en termes de surfaces en mètres carrés. En Guadeloupe, sur la même base de surfaces, avec un hypermarché et deux supermarchés, nous pensons être aux alentours de 5 % de parts de marché.

Une question nous a été posée : pourquoi sommes-nous devenus Leclerc ? Nous avions mis trente ans pour installer une enseigne U, qui fonctionnait bien. Nous progressions et profitions d'une bonne image de la population. Par contre, comme on vous l'a dit, le marché est très concurrentiel et il évolue beaucoup. En 2018, nous avons fait le constat que les DOM des Antilles subissaient une phase d'appauvrissement, du fait de la diminution de la population, de l'ordre de 4 000 habitants par an, du manque d'activité, du chômage important, du vieillissement de la population existante et d'une réduction du nombre de fonctionnaires. Or, ces fonctionnaires permettaient de remonter le pouvoir d'achat de l'île, avec la prime de 40 % des salaires déjà mise en place à l'époque pour compenser la vie chère. Quand ces fonctionnaires partent à la retraite, ils ne bénéficient plus de la prime et le pouvoir d'achat passe de 100 % du salaire et des 40 % de prime, soit 140 %, à 65 %. Cet abaissement du pouvoir d'achat des fonctionnaires entraîne l'impossibilité pour eux, pour les parents, d'aider les jeunes, ce qui se faisait avant. Les jeunes préfèrent partir en France hexagonale où il est plus facile de trouver un emploi, où la vie coûte moins cher et où les transports en commun leur permettent de se déplacer à moindres frais. Il faut aussi mentionner la difficulté de trouver les logements, car le nombre de constructions à loyer modéré (HLM) ne cesse de baisser. Il y a bien des logements vides, mais ce sont des logements inadaptés qui ont besoin d'être rénovés. Je vais parler aussi de la réduction des aides du gouvernement, tant aux particuliers qu'aux mairies et aux collectivités.

Il y a aussi le fait que, dans les années 1960, les cotisations de retraite n'étaient pas appliquées partout dans tous les secteurs. Dans les secteurs du bâtiment, de l'agriculture, des gens de maison et même de la médecine, les retraites n'étaient pas cotisées et versées. Ces gens aujourd'hui se retrouvent très fortement défavorisés et nous avons une population malheureusement qui perçoit des pensions de retraite ridicules, ce qui amène à se demander de quelle manière ils réussissent à vivre.

Notre analyse fait ressortir un futur plutôt obscur. Nous avons regardé les autres contraintes. Nous étions le seul groupe de la grande distribution à ne pas avoir d'activités de grossiste ou d'agent de marque. En plus, certains de nos fournisseurs sont nos concurrents. Ce constat fait, il nous fallait trouver une enseigne qui nous permette de nous approvisionner pour nos 30 000 références et le moins cher possible, tout en nous permettant de supprimer au maximum les intermédiaires. Nous cherchions un acteur ayant la même vision que nous du marché, à savoir baisser les prix et être le moins cher possible.

Ce nouveau partenaire devait aussi nous permettre, d'une part de passer à la transition numérique, d'autre part à la transition énergétique et écologique. Numérique, pourquoi ? Parce qu'il n'est pas impossible que demain matin, nous puissions avoir des concurrents tels qu'Amazon face à nous. Notre choix s'est donc naturellement porté sur l'enseigne Leclerc, dont vous savez tous que l'ADN et le slogan sont de baisser les prix et d'être toujours l'acteur le moins cher. Ce choix nous permettait par ailleurs de rester dans le même format d'hyper dans lequel nous opérons et d'avoir un engagement identique au nôtre.

Cet engagement mutuel est tellement fort qu'il est indiqué dans notre contrat que nous devons être à l'indice 96, c'est-à-dire 4 % moins cher que tous nos concurrents, sous peine de perdre l'enseigne Leclerc. Vous comprendrez qu'avec un tel engagement, il n'est pas question pour nous d'avoir des marges cachées ou empilées. Il faut que nous soyons les moins chers, ce qui n'est pas toujours facile, mais c'est l'objectif. Notre stratégie est d'abord de réduire les coûts, éliminer tous les coûts non indispensables ou nécessaires. Entre la centrale coopérative Leclerc et nous, nous trouvons bien entendu des prestataires, mais ce sont des prestataires extérieurs tels que les transitaires, les transporteurs, dont la CMA CGM. Aucune de ces entreprises ne fait partie de notre groupe. Ce sont des charges externes que nous payons à des tiers, que nous challengeons en permanence et que nous mettons en concurrence les uns par rapport aux autres.

Le deuxième axe stratégique est d'offrir un large choix de produits peu chers, de bonne qualité, dans un cadre agréable pour témoigner à nos clients du respect à leur égard. Notre slogan : « Le prix, le choix et la qualité ».

L'organisation juridique de notre activité est très simple et elle est basée selon les règles de l'indépendance des secteurs de l'activité, à savoir une entité pour l'activité automobile, une entité pour l'activité menuiserie et fermeture, une entité pour l'activité immobilière et une entité pour l'activité distribution alimentaire. Pourquoi ? Là aussi, nous avons des actionnaires différents dans les différentes entités.

Je vais essayer de répondre à l'une de vos questions. Non, nous ne déposons pas nos comptes pour des raisons de confidentialité. Je crois que personne ne dépose réellement les comptes étant donné l'étroitesse du marché et le fait qu'on veut vite savoir ce qui se passe. Par contre, nous déposons nos comptes aux services fiscaux, à l'Institut d'émission des départements d'outre-mer (Iedom), à nos banques et à nos partenaires sociaux. De l'autre côté, l'Autorité de la concurrence, puisqu'elle a eu affaire à nos dossiers à plusieurs reprises, possède une très bonne connaissance de l'ensemble du groupe. Nous nous tenons à votre disposition pour vous remettre copie des bilans des différentes sociétés concernées du groupe.

On vous a dit quelles étaient notre stratégie et notre obnubilation des prix. Faire baisser les prix passe par les achats en termes de sources d'approvisionnement. À ce jour, nos achats représentent 60 % d'achats locaux, dont 38 % chez les producteurs locaux, et 40 % d'achats à l'import, en passant en grande majorité par la coopérative Leclerc. En termes de marques achetées, la marque distributeur (MDD) représente 40 % de nos achats à l'import. Nous achetons désormais 47,5 % de produits de marque nationale à la coopérative Leclerc directement. Nous achetons un peu plus de 50 %, toujours localement, à travers les grossistes et agents locaux. Pourquoi ? Nous n'avons pas la capacité de stocker toutes les références des magasins. Comme je vous l'ai dit, nous parlons de plus de 30 000 références. Nous ne pouvons pas avoir toutes ces références. Notre organisation, toujours pour être les moins chers possible, consiste à fonctionner avec des stocks minimums. En effet, aux Antilles, les normes de construction font que les coûts sont facilement de 50 à 80 % plus élevés que ceux de la métropole. Nous avons les normes sismiques, nous avons les normes anticycloniques et de plus, il nous faut des surfaces plus grandes pour pouvoir stocker davantage. En métropole, les magasins sont livrés tous les jours, toutes 48 heures. Pour notre part, il nous faut passer la commande, attendre la livraison et prévoir les imprévus, comme le retard d'un bateau ou la grève sur le port. Les bateaux assurent des rotations hebdomadaires et mettent entre dix et douze jours de mer. Notre objectif est d'avoir deux semaines en commande chez la coopérative, deux semaines de stock flottant et trois semaines de stock en magasin. Comme je vous l'ai dit, c'est pour anticiper toute possibilité de rupture en cas d'imprévu. Il faut compter entre quatre et six semaines entre le moment où nous passons une commande et l'arrivée des produits dans nos entrepôts. Nous chargeons les containers de manière mixte, c'est-à-dire qu'ils sont remplis avec plusieurs types de produits, dans le but d'augmenter la valeur transportée, d'optimiser les containers et ainsi permettre aux produits de première nécessité de supporter moins de coûts.

Alors, pourquoi y a-t-il un différentiel de prix entre la métropole et les îles ? J'ai envie de dire qu'il y a des différentiels de prix entre Paris et la Bretagne. Tout est fonction des lieux de production et du marché. Aujourd'hui, aux Antilles, nous avons ce que nous appelons les surcoûts. Ce sont les surcoûts d'importation par rapport au prix moyen de départ de la métropole. En plus des surcoûts d'importation, nos magasins supportent des coûts supplémentaires liés à plusieurs facteurs, comme les surfaces de stockage plus importantes, les coûts de construction supplémentaires, les tâches supplémentaires occasionnées, telles que dépoter des containers ou avoir du personnel pour calculer les prix de revient. Les magasins de métropole ne connaissent pas ces situations. Je cite aussi les ruptures, la casse, les démarques inconnues.

Dans le tableau ci-joint, nous avons essayé de vous faire une synthèse des différents surcoûts auxquels sont soumises les marchandises importées de la France hexagonale vers les Antilles-Guyane. Nous parlons surtout des Antilles, Martinique et Guadeloupe. En moyenne, le surcoût de nos achats à l'import, tous secteurs confondus, pour un hypermarché et pour toute l'année 2022, se décompose approximativement comme suit, en précisant que la base de départ est une base 100, c'est-à-dire le prix du produit qui quitte l'usine en métropole. Vous voyez que nous ajoutons un surcoût qui s'appelle la logistique départ, qui correspond au coût du camion de l'usine de production à la centrale ou chez le transitaire, puis du transitaire sur le port où le produit est embarqué en étant levé par la grue pour arriver au-dessus du bastingage du bateau. Ces coûts représentent en moyenne 8 %. Ensuite, vous avez la phase du transport qui englobe le prix du fret, vous avez le prix de la BAF ( bunker adjustment factor, facteur d'ajustement de soute), plus quelques frais annexes. Sur une moyenne générale, établie sur la base de nos achats dans tous les secteurs, le transport et la BAF coûtent 11,5 % de plus qui viennent se rajouter aux 100 % du prix du départ du produit. Les autres taxes représentent 17 %.

Vous allez me demander pourquoi l'octroi de mer représente 17 %, alors qu'un grand nombre d'octrois de mer sont à 8,8 %. Mais quand on les applique à 8,5 % sur le prix du produit, plus le prix du fret, ce ne sont plus 8,5 % sur 100, c'est 8,5 % sur 120, ce qui augmente la part de l'octroi de mer.

Une fois le bateau arrivé, nous avons en moyenne 3,3 % de gestion du port comprenant les débarquements, les stationnements ou ce que vous voulez. Vient après la logistique locale. Les containers sortent du port et sont transportés par des camions. Un trajet du port à la Galleria coûte 260 euros. Il faut ensuite déposer les containers dans les entrepôts, chez le logisticien ou autre. On considère qu'en moyenne, la logistique locale et la livraison coûtent 6,8 % aux Antilles.

Au final, un produit sur une base de 100 qui arrive aux Antilles fait l'objet d'un surcoût moyen de 46,6 %. Ce sont les moyennes qui ont été faites sur tous nos achats. Vous avez des produits électroniques, de l'alimentaire qui représente 90 %, du textile, etc. C'est une moyenne. La vie chère est composée de toutes ces composantes.

Vous avez noté que j'ai parlé de coûts de transport et non pas de fret, puis de BAF. Pour moi, le transport, c'est un ensemble. Pour éviter les confusions, on parle tantôt de transport, tantôt de fret, tantôt de BAF. Pour nous, c'est un total qui est facturé aux mêmes prestataires, aux mêmes personnes.

Il est important à nos yeux de faire une différenciation entre les différents intermédiaires versus les différentes étapes supplémentaires liées à l'importation. Un intermédiaire peut réaliser plusieurs étapes. Un transitaire, par exemple, peut faire les opérations de dédouanement, de livraison et de stockage. Je vous ai dit que nous constatons un supplément de 46 %, mais cette moyenne peut cacher de grandes différences sur les surcoûts, notamment de produits alimentaires et de première nécessité. Je vous confirme les déclarations de mes concurrents qui vous ont fait part de surcoût pour ces produits de première nécessité, de l'ordre de 45 à 50 % pour le lait, de 50 à 55 % pour les pâtes, de 45 à 50 % pour le riz et de 40 à 50 % pour les conserves. Par contre, sur les produits frais, les surcoûts peuvent dépasser les 80 % et ceux non compris les pertes liées aux dates limites de consommation. Ces dates limites de consommation (DLC), notamment pour les produits frais, sont de 21 jours à partir du jour de production. Si un bateau part le vendredi, il faut que la marchandise soit livrée le mercredi à midi. Il faut donc que le producteur livre avant le mercredi et dans ce cas, nous avons six jours : lundi, mardi, mercredi, jeudi, vendredi et samedi et nous avons les dix jours de bateau. Nous sommes déjà entre 15 à 16 jours. Or, les DLC sur les produits frais sont de 21 jours. Vous voyez qu'il ne reste que cinq ou six jours pour vendre les produits. Quand un bateau arrive non plus le mercredi, comme c'était prévu par le passé avec la CMA CGM, mais qu'il arrive le vendredi matin sur le port, en sachant que les services vétérinaires sont fermés à midi, nous ne sommes livrés que le lundi ou le mardi. En ce mois de mai, avec tous les lundis fériés, nous avons été livrés le mardi. Imaginez-vous qu'à ce moment-là, nous prenons la marchandise du container et nous la jetons en totalité.

Donc la casse représente un coût important, d'où certaines suggestions de notre part. Nous n'avons pas la prétention d'avoir les solutions à la problématique de la vie chère dans les DOM. Nous nous permettons toutefois de poser des pistes et des suggestions, en sachant que c'est surtout la volonté politique qui nous permettra de chercher et de trouver des solutions pour aider la population et relancer l'économie en abaissant les surcoûts.

Nos suggestions portent à la fois sur une baisse des surcoûts à l'importation, sur une réorganisation de la production locale pour viser l'autonomie alimentaire maximale et aussi sur les mesures à prendre. En ce qui concerne la réduction des surcoûts, nous pensons que la première tâche serait de déterminer une quantité et une liste de produits de première nécessité qui pourraient être de l'ordre de 2 500 produits alimentaires et marchandises générales. Il convient de fixer cet objectif avec un différentiel maximum entre les prix toutes taxes comprises (TTC) en métropole et les prix TTC dans les DOM, en tenant compte des différentiels de TVA. Cette solution implique de supprimer le fret de la base taxable de l'octroi de mer des produits de première nécessité. Je parle bien uniquement des produits de première nécessité.

Il faudrait aussi remettre en place la continuité territoriale sur les produits de première nécessité ou proposer une aide au fret pour la liste des produits de première nécessité. Cela pourrait être fait comme les entrants de la production locale, à partir des déclarations de douanes ou, pour ne pas diminuer les recettes des régions dont elles ont besoin et qui sont nécessaires aux communes et au développement économique des sorties, mettre en place une péréquation sur les coûts et les produits de moindre nécessité et pour lesquels il n'y a pas de production locale. L'idée est de taxer un peu plus les produits de moindre nécessité, comme les équipements électroniques, téléphoniques, l'automobile non écologique, etc.

L'autre solution dont j'ai parlé tout à l'heure, serait de revoir la possibilité d'avoir des dates limites de consommation (DLC) plus longues pour diminuer la casse, notamment sur les produits sans production locale quand cela fait partie des surcoûts. Il peut s'agir aussi de revoir les normes et règles pour développer le commerce régional et permettre aux marques internationales de nous livrer des produits comme cela se fait dans les îles voisines, au prix des îles voisines. Ces produits peuvent venir du Venezuela ou de Trinidad et ils affichent des prix inférieurs aux marques nationales.

Un point important est l'amélioration de la production locale. Il faut développer la production locale par une aide à l'entreprise et non aux produits, afin de permettre à l'entreprise d'être compétitive non seulement dans les DOM, mais aussi à l'export. Nous connaissons particulièrement ce cas dans le groupe. Je vous ai parlé de l'entreprise de menuiserie. Les aides étaient accordées avant à l'entreprise. Aujourd'hui, elles sont faites par produit. Il y a vingt ans, nous étions assez compétitifs et nous pouvions vendre des produits dans toute la Caraïbe, y compris en Jamaïque et aux États-Unis. Aujourd'hui, par le fait de taxer le produit localement, nous ne sommes plus compétitifs. Ce n'est plus l'entreprise qui a la capacité de faire les produits différents, c'est un produit bien spécifique. Je pense qu'il faut revoir l'aide accordée aux entreprises à ce sujet.

Il faut aider à la restructuration et à l'organisation des filières, aider les coopératives à réduire les coûts par une aide aux entrants, par la mise en place de financements, notamment à destination des agriculteurs, pour lisser leurs besoins de trésorerie. Entre le moment où ils plantent un arbre et le moment où ils récoltent, ils n'ont pas les moyens de se financer. Je pense à quelque chose qui ressemblerait au système des coopératives de la banane. Bien entendu, il faut continuer à développer l'autosuffisance et les filières animales.

Le dernier point, déjà mis en avant par d'autres personnes, concerne l'amélioration du pouvoir d'achat aux Antilles. Le niveau de vie aux Antilles est inférieur de 20 à 30 % par rapport à la métropole, alors que la vie est plus chère de 20 à 40 %. Afin de redonner du pouvoir d'achat à la population, mais aussi de redonner une activité dans nos territoires vis-à-vis de nos collaborateurs, il serait opportun de remettre en place par exemple les avantages fiscaux, comme l'abattement de 30 % de fiscalité ou les crédits d'impôt. Pour moi, c'est une injustice d'avoir une population qui a moins de pouvoir d'achat et pour qui la vie est plus chère de 40 %. On s'imagine la réaction de la population défavorisée en France hexagonale. On peut s'imaginer la détresse et le sentiment d'injustice de vie chère pour la population Antilles-Guyane. Il faut donc diminuer cet écart de pouvoir d'achat, d'autant que cela permettrait de redévelopper l'économie locale.

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