Intervention de Amiral Pierre Vandier

Réunion du mercredi 27 juillet 2022 à 9h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Amiral Pierre Vandier, chef d'état-major de la marine :

Les travaux de la LPM vont commencer. Nous allons recevoir les premiers cadrages financiers. Le CEMA est en train de fixer les priorités pour répondre aux demandes que le Président lui a adressées.

Depuis 1990, le format de la marine a été réduit de moitié, mais tout l'art de mes prédécesseurs a consisté à en maintenir l'ensemble des capacités clés sous une forme un peu plus fine. Deux capacités tiennent toute la marine : la force océanique stratégique, qui ne peut souffrir aucune impasse car c'est la dimension non discrétionnaire du format de la marine ; le GAN et tout ce qu'il emporte en termes de puissance, de ravitaillement et de crédibilité, en particulier vis-à-vis de nos alliés. Le lancement du successeur du Charles de Gaulle devrait notamment intervenir au cours de ce quinquennat.

Le Livre blanc de 2013 a fixé le format de la marine pour 2030, qui reste la référence : 15 frégates – 8 FREMM, 2 frégates de défense antiaérienne (FDA) et 5 FDI –, la capacité d'opérer sur deux à trois théâtres simultanés et une mission-cadre. Savoir s'il est suffisant est une question qui n'est pas de mon ressort et à laquelle les travaux de la future LPM devront répondre. La question d'un éventuel deuxième porte-avions doit s'inscrire dans ce cadre pour un horizon post -2040.

Les porte-avions suscitent beaucoup de fantasmes. Ceux qui pensent que c'est de l'argent gaspillé devraient commencer par convaincre ceux qui en construisent actuellement, notamment les Chinois et les Turcs, de s'en passer ! En Europe, les Britanniques et les Italiens en ont chacun deux ; en Asie, les Coréens en construisent un, les Japonais transforment leur porte-hélicoptères amphibies (PHA) en porte-F35, et les Indiens viennent de faire les essais à la mer de leur deuxième porte-avions.

Pourquoi les porte-avions ? Simplement parce que, dans ce retour du combat naval, comme c'est le cas à terre, on ne gagne pas une bataille sans supériorité aérienne. Dans les années 1990-2000, les porte-avions étaient des outils de projection de puissance vers la terre, dans des espaces peu militarisés, comme l'Afghanistan, le Mali ou l'Irak. Aujourd'hui, on se retrouve face à une densité de missiles et à une puissance de feu considérables, et pour pouvoir envisager de remporter un combat naval, il faut avoir la supériorité aérienne. Dans l'océan Indien, entre Djibouti et Bombay, celle-ci n'est possible qu'avec les porte-avions – tout le monde l'a compris.

Le principal frein à l'extension du format de la marine est budgétaire, pas industriel. Compte tenu des contraintes financières, le principal levier d'accélération est l'innovation et la valorisation des plateformes. On ne peut plus attendre vingt ans pour changer le logiciel de combat d'un bateau – on espère bientôt remettre à niveau celui du Chevalier Paul Aujourd'hui, pour la Marine, avoir une industrie en mode guerre, c'est être capable de cadencer de manière beaucoup plus rapide, comme cela a été très bien fait dans l'aéronautique, les évolutions des systèmes d'armes de nos navires. Ceux-ci doivent disposer de capacités évolutives, se voir ajouter des optionnels de mission – comme on le fait pour le Rafale.

En matière de drones, la marine n'est pas en reste. Nous avons mené la première opération de lutte contre la drogue, en Atlantique, avec le Mistral et un drone Schiebel, qui est resté quatre heures en vol, en alternance avec l'hélicoptère. Le potentiel de ce dernier est démultiplié par le drone. Nous allons désormais employer des drones pour toutes les missions qui n'impliquent pas d'emport d'armes. Nous disposerons de six drones Schiebel, qui sont en cours de certification. Dès cet été, nous déployons le système de mini-drone marine (SMDM), qui équipera les petits patrouilleurs, les avisos, les patrouilleurs outre-mer et leur permettra d'étendre jusqu'à une vingtaine de nautiques leur bulle de connaissances, en communication directe.

Pour le futur, dans le cadre du programme « avion de surveillance et d'intervention maritime » (AVSIMAR), nous travaillons sur une combinaison du drone et de l'avion. Nous avons déjà acheté sept Falcon 2000. Les suivants pourront être renforcés ou complétés par des drones, qui opéreront depuis la côte, pour la surveillance, à l'instar des avions de patrouille maritime.

Nous avons également beaucoup avancé sur les drones sous-marins. L'ensemble de la force de guerre des mines sera entièrement dronisé dans les vingt prochaines années. Nous soumettons actuellement à des essais le système de lutte antimines marines futur (SLAMF). Nous opérons les drones depuis Brest. S'agissant des gros drones sous-marins, Naval Group a lancé des études en vue d'élaborer un prototype. Nous étudions les concepts avec eux.

Les drones se heurtent à deux problèmes principaux. Le premier tient à l'armement : peut-on franchir la limite que constitue l'emploi d'un système d'armes létales autonome (SALA) ? C'est un sujet sur lequel s'est penché le comité d'éthique de la défense, institué à l'initiative de Mme Parly. Confier des armes puissantes, voire, comme les Russes le prétendent, des armes nucléaires, à des systèmes automatiques est pour le moins problématique. Je rappelle que la France avait souhaité débrancher les systèmes d'armement des premiers drones Predator qu'elle avait acquis afin qu'ils ne puissent être armés.

Le second problème est le système de communication, qui est le point faible du drone. Pour un drone avion, cela passe par le satellite ; si on brouille la liaison, on perd le contrôle du drone. Sous la mer, les ondes radio ne passent pas : une fois largué, le drone sous-marin doit avoir une forte part d'automatisme et il peut être perdu. Nous portons notre réflexion sur la coopération entre le sous-marin et le drone sous-marin. Outre les nageurs de combat, on peut placer de nombreux matériels dans la valise de pont d'un sous-marin, ce qui ouvre des perspectives.

J'ai beaucoup discuté, récemment, avec mon homologue américain sur la dronisation des flottes. Les États-Unis n'ont pas le potentiel pour accélérer leurs chantiers navals. Leur flotte de bateaux dronisés est confrontée à deux difficultés : la perte du contact avec le drone et le risque qu'une autre armée s'en empare. Les concepts ne sont pas encore complètement mûrs. Les drones de surface pourraient, à mon sens, jouer un rôle d'accompagnateur des forces. Ils pourraient être dotés de systèmes de guerre électronique et, éventuellement, de quelques armes, et aller 40, 50, 100 nautiques en avant, pour éclairer et défendre au loin une force aéronavale.

Le développement de ce système dépendra toutefois des crédits disponibles. On constate de très fortes réductions temporaires de capacités ; tous les segments de la marine sont concernés. On va descendre à quatre SNA pour les deux prochaines années, compte tenu du rythme de réparation des cinq sous-marins que nous détenons et des livraisons des suivants. S'agissant des patrouilleurs, la cible va descendre à 50 % de ce qui est prévu pour 2030. Pour les patrouilleurs outre-mer, on remontera à 100 % en 2025. Par ailleurs, nous n'aurons que deux bâtiments ravitailleurs de force (BRF) d'ici à 2029, au lieu de quatre. Dès lors, la question se pose : faut-il encore décaler la mise en service des BRF et employer provisoirement des drones ? Ce sont des choix cornéliens, qu'il conviendra de trancher cet automne.

La convention de Montreux interdit à un navire de plus de 20 000 tonnes d'entrer en mer Noire et autorise, pour une durée maximale de vingt et un jours, la présence d'un bateau allié, qui est soumise à déclaration. La France est le dernier pays occidental à avoir envoyé un bateau de guerre en mer Noire. Nous en sommes sortis et nous n'y revenons actuellement plus, les Turcs ayant déclaré, en application de la convention, le non-renforcement des belligérants – ce que nous ne sommes pourtant pas. Plus aucun pays de l'OTAN n'a depuis franchi le détroit du Bosphore.

Le renforcement militaire général a pour effet d'accroître la coercition potentielle. À titre d'exemple, nous avons escorté un navire spécialisé, qui avait obtenu un accord de prospection de forages pétroliers au sud-ouest de Chypre. Les Turcs considérant que ces secteurs relèvent de leur souveraineté, notre frégate s'est vue entourée par cinq frégates turques, ce qui in fine a dissuadés l'opérateur de poursuivre ses activités dans ce secteur. Compte tenu de l'importance et de l'évolution du rapport de force, la coalition est essentielle. On dénombre autant de frégates en Europe que dans toute la marine américaine : nous ne sommes donc pas seuls. Il est fondamental que nous coopérions avec les pays européens. Je déploie beaucoup d'énergie pour emmener mes camarades européens dans le golfe de Guinée ou en missions de surveillance dans l'océan Indien – opérations AGÉNOR et ATALANTA – afin que la marine française ne s'épuise pas à assurer seule la sécurité de tous. Nous cherchons par conséquent à renforcer la coopération en Atlantique, en Méditerranée, dans le golfe de Guinée et dans l'Indopacifique.

Dans la perspective des Jeux olympiques, l'État a accompli un travail de fond pour faire face à la menace des drones. Compte tenu de la généralisation des drones commerciaux, n'importe qui peut faire voler un drone quadri pales au-dessus des sites les plus sensibles. Des dispositifs ont été mis en place. À l'île Longue, des brouilleurs de communications sont activés et des compagnies de gendarmes sont présentes sur toute la zone pour rechercher et verbaliser les contrevenants. Par ailleurs, on commence à développer des armes létales antidrones. Cilas, à Orléans, développe les premières tourelles antidrones, qui permettent leur destruction à 2 kilomètres de distance. Nous serons progressivement à la hauteur de ces menaces, que nous prenons très au sérieux, y compris en mer.

On a perdu de vue la flotte auxiliaire qui existait dans les années 80 mais on en aura sans doute bientôt besoin à nouveau. La flotte de commerce a considérablement fondu depuis cette époque. Il faudra partir de ce qu'il reste de la flotte sous pavillon français. Peut-être faudra-t-il envisager d'affréter des navires pour assurer l'assistance aux populations outre-mer. Nous aurons sans nul doute, dans une perspective de crise importante, besoin de pétroliers, de navires de transport civils.

En Ukraine, la partie navale du conflit a été peu évoquée alors qu'elle a couvert peu ou prou tous les champs d'emploi d'une marine moderne. Au cinquième jour de la guerre, M. Poutine avait menacé de conséquences effroyables quiconque se mêlerait de son opération spéciale et, pour donner corps à son propos, avait fait appareiller six SNLE, deux dans le Pacifique et quatre depuis Mourmansk, ce qui a permis de prendre conscience de l'intérêt de disposer d'une force nucléaire indépendante.

Puis la Russie a instauré un blocus en mer Noire, coulant deux bateaux ukrainiens et pas moins de onze navires de commerce. Elle a utilisé des plateformes navales pour tirer des missiles de croisière. Face aux difficultés qu'elle rencontre en matière de stocks de munitions, elle utilise largement les stocks des bateaux et des sous-marins, comme en témoignent les frappes actuelles sur Odessa.

On a également eu un exemple de lutte antinavire avec les frappes de missiles qui ont occasionné la perte du Moskva, vitrine de la marine russe. Il a coulé en quelques heures, preuve de la létalité et de la violence du combat naval. À cet égard, on peut rappeler que la marine anglaise a perdu 14 navires en 72 jours de conflit lors de la guerre des Malouines en 1982. Nous nous sommes préparés à ce type de conflit au cours de l'exercice Polaris 21 et nous continuons à nous y préparer.

La marine recrute chaque année près de 4 000 marins. Nous atteignons nos objectifs de recrutement chez les quartiers-maîtres, les officiers mariniers et, dans des proportions beaucoup plus larges encore, chez les officiers, pour lesquels le taux de sélection est excellent. Les écoles tournent à plein régime. Mon prédécesseur avait fait ouvrir une deuxième école de maistrance à Toulon. L'enjeu RH actuel consiste surtout à garder les compétences que nous avons créées. Un maître, opérateur de réacteur de sous-marin âgé de 31 ans est payé comme un technicien alors qu'il trouvera un emploi d'ingénieur chez EDF du jour au lendemain. Du fait du tassement des grilles indiciaires, la progression salariale est aujourd'hui extrêmement faible : entre un maître et un maître principal, il n'y a que 600 euros d'écart de leur solde de base. Les talents de la marine, comme les officiers de système d'armes, les nucléaristes, les personnels spécialisés en chimie, se voient offrir des ponts d'or dans le civil. La rémunération et les outils de fidélisation sont donc fondamentaux.

Le Président de la République a affirmé une ambition extrêmement forte pour la jeunesse. La manière la plus réaliste et la plus rapide de répondre dans un premier temps à cette ambition est renforcer les dispositifs actuels : service militaire volontaire (SMV), préparations militaires marine, classes de défense… Nous pensons faisable de doubler rapidement le nombre de préparations militaires et d'ouvrir une deuxième école de mousses, sur la façade méditerranéenne. Une ambition beaucoup plus importante, de niveau ministériel, est portée dans le cadre du service national universel (SNU) et fait l'objet de travaux au niveau de l'EMA.

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