Intervention de Francis Amand

Réunion du jeudi 11 mai 2023 à 17h30
Commission d'enquête sur le coût de la vie dans les collectivités territoriales régies par les articles 73 et 74 de la constitution

Francis Amand, chef de mission de contrôle économique et financier, ancien médiateur des relations commerciales agricoles, délégué interministériel à la concurrence dans les outre-mer :

S'agissant des obstacles rencontrés, je peux donner trois exemples. Sur la vente à perte, on m'a dit non, c'est tabou, on ne va pas commencer à détricoter le code de commerce avec des choses particulières. On me disait aussi que l'opposition à la vente à perte visait à éviter que le petit commerce souffre par rapport aux grands. Je leur disais qu'il souffrait déjà et que cela ne changeait pas grand-chose. Si vous voulez défendre le petit commerce, pourquoi n'utilisez-vous pas la disposition de la loi du 20 novembre 2012 relative à la régulation économique outre-mer et portant diverses dispositions relatives aux outre-mer dite « loi Lurel » qui permet d'obliger, dans plusieurs départements d'outre-mer, les grands commerçants à faire des tarifs de gros aux petits ? Cette disposition me semblait assez intelligente, mais elle n'a pas été mise en œuvre. Il y avait donc des solutions.

J'ai également demandé que l'on profite de la proposition de l'Autorité de la concurrence de revenir sur l'injonction structurelle pour la rendre plus efficace, d'aller jusqu'au cas néo-calédonien. Pourquoi en Nouvelle-Calédonie, pouvez-vous défaire les conglomérats et les positions dominantes beaucoup plus facilement qu'ailleurs ? Pourquoi ne le faites-vous pas ? On m'a dit que c'était anticonstitutionnel. C'est à voir. Je ne vois pas ce qui est anticonstitutionnel à faire à La Réunion ou aux Antilles, ce que l'on fait en Nouvelle-Calédonie. Les entreprises ont-elle besoin de plus de liberté aux Antilles qu'en Nouvelle-Calédonie ? Les consommateurs martiniquais ou guadeloupéens doivent-ils être moins protégés que les consommateurs calédoniens ? Il y avait toujours de bonnes oppositions.

J'ai fait des propositions pour traiter les concentrations spécifiques à l'outre-mer en donnant au ministre, donc à l'action publique, plus de pouvoir. On m'a dit non, parce que le droit à la concurrence doit être exempt de tout soupçon d'intervention publique. C'est un tabou en droit de la concurrence. Donc là aussi, on ne voulait pas.

J'ai aussi fait des propositions pour donner plus de puissance au bopuclier qualité-prix (BQP), sur son champ et son objectif. Un article de la loi Lurel qui traite du BQP spécifie que lorsque le préfet n'est pas satisfait de la négociation ou du résultat de la négociation, il peut imposer des choses. Pourquoi ne le faites-vous pas ? Essayez d'utiliser tous les outils de la loi Lurel. Cela n'a pas été utilisé. De même, le tarif de gros n'a pas été utilisé. L'injonction structurelle n'a pas été utilisée. La réécriture de différents articles de la loi Lurel pourrait les rendre plus efficaces.

J'avais toujours des oppositions de droit ou de conception de l'intervention des pouvoirs publics dans l'économie. Si vous avez des conceptions extrêmement libérales, vous considérez que le ministre doit intervenir le moins possible. Ce n'est pas l'avis du ministre actuel, Jean-François Carenco, et je pense qu'il a raison.

Pendant mes fonctions à la DGCCRF, j'ai connu l'amendement Thien Ah Koon. Je trouve que c'était une bonne disposition. Je ne peux pas dire ce qu'il se serait passé si on l'avait conservé, mais je pense que limiter la part de marché - ce n'est pas forcément la même dans tous les marchés - est une solution à regarder avec intérêt. D'ailleurs, dans une des questions du questionnaire, on me demande s'il faut encore baisser les seuils du contrôle des concentrations. Je ne pense pas qu'il faille les baisser. Par contre, je pense qu'il faut faire des seuils en parts de marché et non pas des seuils en niveaux. Sinon, vous allez les baisser, vous allez soumettre un nombre astronomique d'entreprises à un contrôle a priori. La plupart du temps, le contrôle conduit à accepter la concentration. Vous soumettez plein d'entreprises à des contrôles, donc à de nouvelles charges administratives, et ce n'est pas le moment, pour un effet nul. Par contre, si vous raisonnez en parts de marché, vous êtes plus proche de la réalité. Si, au-delà d'une part de marché, vous donnez des pouvoirs d'évocation et de renégociation au ministre dès lors qu'il y a une concentration qui dépasse une part de marché, la démarche devient plus efficace. Là aussi, c'était novateur. On m'a dit que le contrôle en parts de marché avait été abandonné lors de la réforme du contrôle des concentrations et qu'il n'était pas prévu d'y revenir. Mais pourquoi pas ? Quand on ne veut pas changer, on trouve toujours des raisons. J'ai proposé mes idées, mais la décision revient à Bercy.

Dernier exemple : en 2019, je me suis occupé de la pêche à la légine à La Réunion, où il existe un aspect concurrentiel dans l'attribution des droits de pêche. J'ai attiré à plusieurs reprises l'attention des décideurs sur les problèmes relatifs à la constitution de l'appel d'offres. Il favorisait excessivement les opérateurs en position et ne permettait pas d'en faire entrer de nouveaux. Je n'ai poussé personne pour attaquer la décision. La décision a été cassée exactement sur les motifs que j'avais donné. Vous avez des approches assez dynamiques et novatrices et quand vous voulez les pousser, on vous dit non. Là aussi, je n'avais pas autorité, autre que morale, pour faire changer les choses.

Je pensais que j'aurais cette autorité. C'est vrai que lorsque je suis arrivé en début 2019, j'avais espoir d'avoir les moyens de regarder la chaîne de valeurs d'un certain nombre de produits qui auraient été par exemple désignés par les observatoires des prix, des marges et des revenus (OPMR), de remonter les choses et de voir effectivement comment les prix se formaient. J'ai commencé à le faire. Notamment, j'ai regardé la chaîne de valeurs des produits importés, qui permet de voir les remises de fin d'année qui ne bénéficient jamais aux consommateurs. C'est un travail de détail, mais il faut rentrer dans les comptes. Je ne peux pas saisir les comptes des entreprises et je dépends de ce qu'on me dit. Je pensais que j'arriverais à le faire, mais très vite, je me suis aperçu que je n'aurais pas les moyens. Ou alors, il aurait fallu que j'abandonne des missions que j'avais par ailleurs.

C'est vrai que quand je suis arrivé, j'ai dit qu'il fallait faire la chasse aux marges abusives. J'ai bien conscience que j'y allais fort parce qu'il est difficile de déterminer une marge abusive. C'est difficile de déterminer une marge abusive, on ne sait pas exactement ce que c'est, je voulais donner un signal, prévenir les entreprises, pour les inciter à être modérées.

Ces démarches ont-elles eu un effet ? C'est difficile à dire parce que la période a été tellement bouleversée avec la Covid-19 et les différentes crises qu'examiner le profil des prix reste un exercice difficile pour en tirer des conséquences. Nous voyons quand même que les prix augmentent moins vite en outre-mer qu'en métropole. Vous allez me dire qu'ils sont déjà tellement hauts qu'ils ne peuvent pas augmenter beaucoup plus et que les marges ont un tampon.

Je constate qu'il n'y a pas beaucoup de nouveaux opérateurs en outre-mer. Les barrières à l'entrée sur les marchés sont toujours aussi importantes. Il faut trouver des moyens de faire tomber les barrières. M. Thierry Dahan, qui a été rapporteur général de l'Autorité de la concurrence et conseiller spécial de M. Lurel pour la loi, avait déclaré que la concurrence supposait la présence de concurrents. On a du mal à les faire naître. Pour les faire naître, il faut de temps en temps redistribuer les cartes. L'injonction structurelle permet de casser des oligopoles. Il faut aussi faciliter l'entrée dans tous les sens. De nombreuses aides bénéficient aux entreprises ultramarines et il convient de les utiliser en faveur des nouveaux entrants, sans que ce ne soit toujours les mêmes acteurs. C'est un travail régulier de bureau.

Je ne peux pas désigner un opérateur abusif plutôt qu'un autre. Il y a une atonie concurrentielle. La prise de risque ultramarine est à mon avis plus grande quand vous entrez sur le marché et, donc, il y a moins d'entrées.

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