Intervention de Nadia Bouyer

Réunion du jeudi 13 avril 2023 à 9h00
Commission d'enquête sur le coût de la vie dans les collectivités territoriales régies par les articles 73 et 74 de la constitution

Nadia Bouyer, directrice générale d'Action Logement :

Je vous remercie d'avoir placé le sujet du logement au cœur de la problématique de la vie chère. Les territoires ultramarins sont aujourd'hui très exposés à un certain nombre d'aléas, qu'il s'agisse des crises économiques mondiales ou des risques. Je ne reviendrai pas davantage sur le constat puisque de nombreuses informations ont déjà été fournies. Je rappelle quand même que le taux de pauvreté est plus élevé dans ces territoires, où nous vivons cet enjeu de la vie chère au quotidien, en essayant de mener des actions pour proposer des logements abordables. C'est l'un des facteurs principaux du pouvoir d'achat des ménages. Chez Action Logement, 41 % de notre parc, composé de 46 000 logements dans les outre-mer, sont situés en quartier prioritaire de la politique de la ville (QPV). Les occupants de ce parc sont vraiment plus pauvres que nos occupants du parc social à l'échelle nationale. Nous voyons que six ménages sur dix se situent sous les 40 % des plafonds du logement social alors qu'en métropole, nous nous situons à quatre ménages sur dix. Il ressort que 60 % des ménages en outre-mer vivent très modestement contre les 40 % en métropole. Ces personnes apparaissent plus fragilisées par rapport au contexte de la vie chère.

Le lien avec l'emploi est distendu parmi nos locataires puisque seul un tiers des majeurs occupe un emploi. Cette situation suppose un enjeu de retour à l'emploi et d'insertion professionnelle. Lorsque nous regardons les ménages ayant emménagé récemment, plus de la moitié se compose de familles monoparentales. À l'échelle nationale, nous nous situons plutôt à 30 %. Les contextes familiaux laissent souvent voir des mères seules avec des enfants.

Devant cette situation, comment faire du logement un levier de sécurisation pour nos concitoyens ? Il s'agit de sécuriser aussi bien leur parcours de vie que leur développement. Action Logement mène à ce titre quatre types d'intervention. Tout d'abord, il convient d'agir pour produire des logements abordables, améliorer les conditions de vie à travers notre parc et nos filiales. Nous sommes aujourd'hui implantés dans les cinq départements et régions d'outre-mer (DROM), au plus près des territoires. Nous avons des filiales à La Réunion, en Martinique et en Guadeloupe. Récemment, nous avons créé une société de HLM à Mayotte, AL'MA, pour répondre à la très forte demande de logements abordables. Il existe déjà un opérateur de la Caisse des dépôts et consignations, mais un deuxième opérateur intervient désormais au regard des très nombreux enjeux et besoins de logements abordables. Enfin, nous avons lancé, avec l'Établissement public foncier de Guyane, une société immobilière commune, la Société immobilière et foncière d'aménagement de la Guyane (SIFAG), dont l'objet social est de traiter majoritairement ces bâtis de cœur de ville très dégradés afin de pouvoir proposer du logement abordable. Il s'agit aussi de contribuer à la production de logements abordables en Guyane.

L'année dernière, nous avons produit 3 000 logements agréés, dont 1 000 en productions neuves et 2 000 en réhabilitation. C'était l'une des questions du questionnaire indicatif reçu : « Avez-vous, comme prévu en 2022, rénové plus de 1000 logements dans les territoires ultramarins ? ? » En fait, nous en avons réhabilité 2 000 à travers notre plan de rénovation sur l'ensemble du patrimoine d'Action Logement, dont les outre-mer. Nous nous appuyons sur un autre levier d'action, que sont les financements apportés par Action Logement Services. Depuis 2019, Action Logement a mis en place un plan d'investissement volontaire dans les territoires d'outre-mer, avec un financement de 1,5 milliard d'euros sur la période 2019-2022. Environ 900 millions d'euros ont été engagés. Le plan se poursuit en 2023 pour soutenir l'ensemble des acteurs de la production de logements abordables, donc les bailleurs sociaux, mais aussi les investisseurs privés qui contribueront à améliorer l'habitat. Les axes ont été définis avec chacun des territoires en fonction de leurs besoins. Les mêmes financements ne sont pas apportés à La Réunion, en Guadeloupe, à Mayotte, en Guyane ou en Martinique.

Au-delà des financements, nous apportons un soutien spécifique à l'innovation en outre-mer. Nous avons beaucoup à apprendre de ces territoires en matière d'innovation. Nous avons accompagné 70 projets, dont d'innovation technique. Philippe Pourcel parlait des enjeux liés aux questions normatives pour accompagner les avis techniques, mais je pense aussi à la construction en milieu tropical et à l'innovation sociale.

Enfin, nous intervenons, et c'est l'objet d'Action Logement, sur l'axe de l'emploi et du logement, c'est-à-dire l'accès au logement des jeunes, les prêts à l'accession pour les salariés, les aides spécifiques.

Le dernier champ d'intervention concerne les guichets uniques, qui accompagnent l'accession sociale à la propriété. Je voulais rebondir sur les propos de Sabrina Mathiot, en indiquant que nous constatons aujourd'hui une panne de l'accession sociale à la propriété dans les territoires d'outre-mer, en raison principalement de l'augmentation des taux d'intérêt. Elle bloque un certain nombre de partenaires bancaires pour apporter le complément de financement. L'accession sociale, outre-mer, bénéficie toujours de l'APL accession, ce qui est une vraie chance. Je cite également la LBU, les prêts d'Action Logement, mais le petit volet complémentaire est bloqué, ce qui pose une problématique. Il faudrait peut-être revoir ces critères pour permettre aux ultramarins d'accéder à la propriété. Lorsqu'on constitue un patrimoine, il y a cet enjeu de pouvoir d'achat quand on a fini de rembourser son emprunt.

Nous menons une politique très volontariste, comme je l'ai dit, en matière de rénovation, avec le souhait d'accompagner les démarches de décarbonation du parc. L'ambition est d'atteindre l'autonomie énergétique de notre parc social d'outre-mer. Ce sont des territoires ensoleillés, offrant la capacité de recourir à l'autoconsommation, notamment solaire. C'est aussi un enjeu. Nous disposons des solutions techniques, mais il reste encore des améliorations organisationnelles et juridiques à apporter.

Contre la vie chère, il convient de continuer à développer le logement abordable sur l'ensemble des territoires. En Guadeloupe ou en Martinique, on nous dit que la population diminue et qu'il semble justifié de moins construire. Néanmoins, le parc social y est très ancien et l'enjeu consiste à le réhabiliter. Quelquefois, il faut savoir déconstruire pour reconstruire du neuf de qualité, avec des usages plus confortables. C'est aussi un point de vigilance sur l'accélération de l'acte de construire afin de répondre aux besoins des habitants.

L'accélération des réhabilitations constitue un enjeu très fort, à travers un soutien appuyé au crédit d'impôt hors QPV qui nous serait utile. Aujourd'hui, nous lançons des réhabilitations hors QPV, mais un tel soutien permettrait d'accélérer davantage le mouvement. Il s'agit aussi de produire des logements avec des typologies un peu différentes de celles dont nous avons l'habitude. Nous rencontrons des problématiques de vieillissement dans ces territoires, que nous connaissions moins auparavant. Il en ressort de nouveaux enjeux d'habitat pour les seniors, mais aussi pour les jeunes. Cette ambition suppose de regrouper des compétences de gestion des nouvelles résidences sur le territoire. Enfin, l'enjeu de cohésion sociale vise à accompagner le bien-vivre ensemble dans les quartiers.

S'agissant de l'habitat privé, nous faisons face à un enjeu de résorption des bidonvilles et des habitats anciens dégradés. Il nous faut donc soutenir la régularisation foncière, la sortie de l'indivision et accompagner la mutation de ce parc très dégradé.

La démarche suppose enfin de travailler avec l'ensemble de la filière BTP sur ces enjeux de qualité pour montrer que, collectivement, nous produisons du beau et du mieux à des coûts abordables.

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